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dimanche 11 août 2013

Droits de l’homme ou citoyenneté

Droits de l’homme ou citoyenneté : Quelle porte d’entrée dans la démocratie en Afrique ?

En Afrique, l’ethnicisation de la politique et l’accaparement du pouvoir par les élites qui en font leur propriété privée contre les peuples semblent être les problèmes fondamentaux. La conception ethnique de la nation, source des politiques de purification, celle du pouvoir, comme propriété privée de son détenteur et comme soumission absolue des dirigés aux dirigeants, expliquent les violations massives des droits humains. Du Rwanda au Congo en passant par la Côte d’Ivoire, le Zimbabwe ou la Guinée pour ne citer qu’eux, les génocides et les massacres s’enracinent dans ce point focal. La violation des droits humains semble être la conséquence et non la cause de la brutalisation de la politique qui paraît relever d’une culture politique. En ce sens, il semble que la condamnation et la répression de la violation des droits humains soient vaines si elles ne sont pas accompagnées ou précédées par la promotion d’une nouvelle conception de la nation et d’une nouvelle culture du pouvoir. Entre la proclamation de la limitation du pouvoir par les droits de l’homme et la construction active de la citoyenneté en Afrique, la question de la porte d’entrée la plus efficace dans la démocratie mérite donc d’être posée. Car il s’agit en réalité de reconstruire le pouvoir et la société politique sur de nouveaux fondements culturels. L’efficience de la limitation des pouvoirs africains par les droits de l’homme repose sur l’intégration d’une conception de la personne humaine comme une valeur absolue, dont le respect de l’intégrité physique et morale et le service des intérêts constituent la loi pour tous les pouvoirs temporels et pour l’organisation de la société. C’est ce qu’expriment les notions de liberté, comme autonomie radicale de l’être humain, et d’égalité comme équivalence de tous les hommes sans distinction de race et de position sociale ! C’est ce que signifie la démocratie comme pouvoir du peuple ! Entre les trois dimensions de la démocratie, à savoir la limitation du pouvoir par les droits fondamentaux de la personne, la citoyenneté et la représentation politique des intérêts sociaux, sur quelle dimension concentrer donc l’effort public en Afrique pour fonder solidement la démocratie tout en promouvant ses autres dimensions ? La limitation du pouvoir par les droits fondamentaux de la personne est assurément la dimension cardinale qu’il faut instituer dans la culture politique des Etats africains et dans l’habitus de leurs dirigeants pour délégitimer les despotismes et les dictatures et engager fermement la démocratisation des régimes. Mais la tendance de plus en plus patente à l’instrumentalisation partisane des droits de l’homme par les élites politiques pose question. Les droits humains sont utilisés par les factions politiques africaines comme instruments dans la lutte pour le pouvoir. Cet usage instrumental des droits humains, sans aucun souci de la sacralité de ces normes, permet aussi d’occulter la problématique de la représentation politique des intérêts sociaux et celle de la citoyenneté. Ce dévoiement des principes porte au premier plan, en Afrique, la question du respect simultané effectif des trois dimensions fondatrices de la démocratie. Elle soulève le problème de la dimension de la démocratie qu’il faudrait mettre immédiatement en œuvre en Afrique pour bâtir dans les peuples et dans les Etats un éthos démocratique susceptible d’empêcher sa corruption et l’instrumentalisation de ses principes par les élites politiques. Après les despotismes et les dictatures, dans le contexte de la résurgence en Afrique des ethno-nationalismes et des replis identitaires, il faudrait asseoir la démocratie sur un principe permettant de refonder le contrat social sur la formation volontaire du corps politique et sur la subordination des dirigeants à la volonté des dirigés et à leurs intérêts, instituant de ce fait une culture démocratique du pouvoir et de sa gestion. Notre thèse est donc qu’en Afrique, la construction de la citoyenneté doit être la base sur laquelle doivent s’instituer la limitation du pouvoir et la représentation des intérêts, ce qui ne signifie aucunement que les deux autres dimensions doivent être oubliées au profit de la citoyenneté. Il est au contraire question d’une institution simultanée des trois dimensions de la démocratie qui doivent cependant être enracinées dans la conscience de la citoyenneté. Plus que la conscience de l’appartenance à une cité ou à un Etat national en Afrique, la citoyenneté doit exprimer d’abord le droit pour toutes les composantes de la cité de fonder volontairement un corps social, de participer indirectement ou directement à sa gestion et de choisir les gouvernants. Elle soumet les dirigeants aux choix et au respect des intérêts des dirigés. La démocratie doit donc s’introduire en Afrique par la porte de la citoyenneté en tant qu’elle « proclame la responsabilité politique de chacun et défend donc l’organisation volontaire de la vie sociale contre les logiques non politiques, que certains prétendent naturelles » comme le soulignait Alain Touraine ; logiques non politiques au rang desquelles l’unité substantielle de la communauté ethnique occupe la première place en Afrique ! La démocratisation doit passer par la médiation de la construction de la citoyenneté qui est l’antidote à l’ethnicisation. Des factions partisanes, indifférentes à la représentation des intérêts sociaux qui continuent de défendre cependant une conception ethnique de la nation en contradiction avec la démocratie et de fouler aux pieds les droits humains, ne se servent-elles pas ouvertement du principe de la limitation du pouvoir par les droits de l’homme comme arme de combat politique dans leur lutte pour la conquête du pouvoir ? Il faudrait donc construire la citoyenneté tout en désocialisant les droits de l’homme, en les arrachant aux idéologies sociales, pour fonder le principe de la limitation du pouvoir sur la notion d’obligation inconditionnelle. Cette obligation inconditionnelle fondatrice des droits humains est la dignité humaine comme impératif intemporel. L’objet de l’obligation c’est toujours l’être humain comme tel en sa dignité ! En appeler aux droits de l’homme, c’est pour chacun reconnaître la priorité de l’obligation qui est la sienne de respecter la dignité d’autrui. Comme la philosophe Simone Weil l’a démontré, le droit découle de l’incarnation sociale et politique de l’obligation. Les droits de l’homme, prérogatives inaliénables de chacun en tant qu’être humain, sont respectés quand chacun respecte ses obligations intemporelles envers autrui ! Dans un Etat démocratique, la citoyenneté exprime cette conscience de l’obligation de chacun envers autrui qui structure le sentiment de commune appartenance des personnes dans une société politique auto-instituée sous le principe de la liberté et de l’égalité.

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