Exemple d'un monument à caractère civilisationnel : la Grande Mosquée de Kairouan, en Tunisie, est à la fois la plus ancienne mosquée d'Afrique du Nord (fondée en 670)1 et l'une des œuvres majeures de l'architecture islamique ayant servi de modèle à de nombreux lieux de culte musulmans2. En plus de son importance artistique et architecturale, cette mosquée fut, notamment entre le IXe et le XIe siècle, le principal centre de culture et d'enseignement dans toute l'Afrique du Nord3. Ainsi cette mosquée est l'un des monuments les plus importants de la civilisation arabo-musulmane4.
La civilisation, c'est d'abord l'ensemble des traits qui caractérisent l'état d'évolution d'une société donnée, tant sur le plan technique, intellectuel, politique que moral, sans porter de jugement de valeur. À ce titre, on peut parler de civilisations au pluriel et même de civilisations primitives.
Comme ceux de culture, de religion ou de société, le mot civilisation est devenu un concept clé ou un « maître-mot » pour penser le monde et l'histoire à l'époque des Lumières5. Le premier à avoir employé le mot civilisation dans une acception qui relève de la signification qu'il a encore aujourd'hui est Victor Riqueti de Mirabeau, le père de Mirabeau le révolutionnaire5. En 1758, dans L'Ami des Hommes, il écrit : « La religion est sans contredit le premier et le plus utile frein de l'humanité : c'est le premier ressort de la civilisation6. » De façon similaire, en 1795, dans Esquisse d'un tableaux des progrès de l'esprit humain de Condorcet, l'idée de civilisation désigne les progrès accomplis par l'humanité dans une nation donnée lorsqu'il fut possible de passer de l'état de barbarie à celui de citoyen, de civil ou de civilisé7.
Au XIXe siècle la civilisation, alors envisagée comme un idéal à atteindre et comme un processus de transformation de la société vers cet idéal, fut la principale légitimation donnée à la colonisation impérialiste8. Il s'agissait de « civiliser » les peuples du monde dans une vision hiérarchique et évolutionniste des degrés de civilisation auxquels ceux-ci avaient accédé.
Aujourd'hui les vues sur la civilisation sont plus égalitaires de sorte que le terme désigne davantage un état de fait historique et social à valeur constante qu'un processus de transformation des sociétés. L'idée a cessé de fonctionner en opposition avec celles de barbarie ou de sauvagerie, tandis qu'était affirmé le principe du « droit des peuples à disposer d'eux-mêmes9 ». Par suite, c'est dans l'égalité ou l'équivalence de ces entités supposées que peut se jouer l'affrontement, le dialogue ou l'entente des civilisations.
L'idée de civilisation reste cependant problématique car pour pouvoir désigner des civilisations, qui n'ont dans les faits ni structure précise, ni représentation institutionnelle, il faut sélectionner parmi les faits observables ceux que l'on juge aptes à définir les civilisations envisagées. Ainsi, on se fondera sur des faits linguistiques, éthiques, géographique, culturels, religieux ou politiques, mais, en procédant ainsi, il n'est pas plus aisé de savoir ce qu'est une civilisation qu'une religion ou une culture, des idées par ailleurs elles aussi assez vagues et qui sont parmi celles les plus employées pour décrire ce que sont les civilisations. Pour Bertrand Binoche « Après avoir prédit le triomphe de la civilisation, on peut bien annoncer le choc des civilisations, mais cela ne contribue pas à y voir plus clair5. »
Sommaire
Aspects et définitions
Une étape de développement technique ou politique
Les premières civilisations ayant laissé suffisamment de trace pour être identifiées comme telles sont Sumer, l’Égypte antique, la vallée de l’Indus et la Chine. Les fonctionnalités de ces groupes sont vues comme les différenciant des établissements précédents comme le Néolithique ; un élément déterminant de la rupture avec le Néolithique est la découverte puis la maîtrise de l'agriculture, laquelle entraîne une nouvelle organisation de l'espace et de l'activité humaine. Pour être qualifiée de civilisation10, celle-ci doit regrouper la plupart des caractéristiques suivantes :Cinq critères primaires (organisation) :
- – la présence d'une ville (sédentarisation des populations) ;
- – spécialisation du travail à temps plein ;
- – concentration de surplus de production ;
- – structure de classe (hiérarchie) ;
- – organisation étatique (État).
- – travaux publics monumentaux ;
- – commerce à longue distance ;
- – réalisations artistiques monumentales ;
- – écriture (comptabilité, registre, etc.) ;
- – connaissances scientifiques (arithmétique, géométrie, astronomie).
Une norme de comportement
Civilisation et idéalisme : La Cité idéale (1475), attribuée successivement à Piero della Francesca, à Luciano Laurana et à Francesco di Giorgio Martini.
Le comportement civilisé est celui qui permet aux hommes de vivre ensemble pacifiquement. Un mythe rapporté par Platon dans Protagoras distingue les apports de la technique de ceux de la civilisation. Prométhée a apporté aux hommes les arts et les sciences, mais les hommes ne parviennent pas à s'entendre et à profiter de ces présents : ils continuent à vivre comme des animaux. Zeus leur fournit alors la pudeur et la justice, c’est-à-dire la possibilité de prendre en compte les autres membres de la société et de régler les différends de manière pacifique et ordonnée : les hommes peuvent alors construire la vie en cité. La civilisation apparait comme étant le moyen pour les hommes de s'élever au-dessus de la condition animale.
Jusqu'au XVIIIe siècle, l'idée de civilisation est exprimée par les mots « politesse » et « civilité ». Ces termes contiennent une connotation, justifiée ou non, de supériorité morale : de la classe noble sur les classes populaires, de l'Europe sur les « barbares ». Saint-Simon, en 1717, est fasciné par le mélange chez le tsar Pierre Ier, en visite à Paris, d'une « politesse » remarquable et de « cette ancienne barbarie de son pays qui rendait toutes ses manières promptes, même précipitées, ses volontés incertaines »11. C'est que la civilisation s'observe non seulement dans la vie de la cité, mais aussi dans toutes les circonstances de la vie quotidienne : manières de table, contrôle de son corps en société… Norbert Elias a étudié ce « processus de la civilisation » : selon lui, les classes les plus élevées de la société ont dû apprendre peu à peu à maîtriser leurs pulsions pour s'adapter à un monde dans lequel les contacts entre les individus sont de plus en plus importants, condition d'apparition de l'État moderne.
La civilisation suppose donc l'existence de lois et de règlements destinés à éviter que les gens ne deviennent violents. Mais la possession de forces autorisées à recourir à la violence, telle que la police ou l'armée ne disqualifie pas une culture qui prétend être civilisée. Ce qui distingue le pays « civilisé », c'est plutôt la manière dont la violence est utilisée : dans un État moderne, toute force armée doit relever de l'État, qui a le « monopole de la violence légitime » selon l'expression de Max Weber.
Le terme de « civilisation » apparaît au milieu du XVIIIe siècle, dans l'œuvre de Mirabeau père. Par la suite, la civilisation apparaît de plus en plus comme un processus : les sociétés passent d'un état « barbare » à un état civilisé, caractérisé par l' « adoucissement de ses mœurs » (Mirabeau). Or, si la société européenne a atteint cet idéal, pourquoi le reste du monde ne pourrait-il pas en bénéficier aussi ? De plus, tout au long du XIXe siècle, l'association entre progrès technique et progrès de la civilisation semble évidente. Dès lors, l'Europe, aidée par son avance technique et militaire, va se sentir investie d'une mission civilisatrice envers l'Afrique (continent qu'il aura réduit en esclavage)et de certaines parties de l'Asie.
Des événements marquants à l'intérieur même de ces sociétés occidentales au XVIIIe siècle et XIXe siècle, entre autres la prise de conscience de l'horreur de l'esclavage, quinze ans de pouvoir du nazisme de 1933 à 194512, mèneront conséquemment à relativiser la notion de civilisation. On ne cherche plus guère, aujourd'hui, à parler d'un progrès unidirectionnel des sociétés, pas plus qu'on ne parlera de « barbares » ou de « sauvages ». Tout au plus parlera-t-on de « civilisations » au pluriel. Fait significatif : dans le même temps que les ethnologues et artistes occidentaux partent à la recherche de ce que ces autres cultures peuvent inspirer comme progrès à notre civilisation, ces autres civilisations effectuent de leur côté leurs choix de ce qu'elles désirent prendre ou laisser dans la culture ou la technique occidentales : l'ayatollah Khomeini, qui rejette l'occidentalisation de l'Iran proposée par le Shah, n'en mène pas moins son action de communication par des cassettes audio, produit de ce même Occident (il s'en expliquera à Oriana Fallaci). Gandhi, refusa la colonisation et l'empirisme de la Grande-Bretagne. D'ailleurs, l'Inde avait déjà travaillé sur le zéro, elle est à l'origine de la numérotation, ce qui est un signe d'avancée majeure dans la civilisation, pour autant l'Inde ne se sentit pas le devoir d'aller coloniser l'Europe.
Un phénomène culturel
Les pyramides du royaume de Koush, situées à Méroé au Soudan actuel, font partie de la classification de Toynbee.
« Civilisation et culture se réfèrent à la manière de vivre en général. Une civilisation est une culture au sens large. Ces deux termes incluent, selon Adda B. Bozeman, « les valeurs, les normes, les institutions et les modes de pensée auxquels des générations successives ont, dans une société donnée, attaché une importance cruciale. » Une civilisation est, selon Braudel, « un espace, une "région culturelle", une collection de traits et de phénomènes culturels. » Wallerstein y voit « une concaténation bien déterminée de visions du monde, de coutumes, de structures et de culture (au sens materiel aussi bien que plus élevé) formant une sorte de tout historique et coexistant (bien que pas toujours en même temps) avec d'autres variétés de ce phénomène. » Une civilisation est, selon Dawson, le produit « d'un processus original de créativité culturelle qui est l'œuvre d'un peuple particulier », tandis que pour Durkheim et Mauss, c'est « une sorte de milieu moral englobant un certain nombre de nations, chaque culture nationale n'étant qu'une forme particulière du tout. » Pour Spengler, la civilisation est « le destin inévitable de la Culture […], le degré de développement le plus exterieur et le plus artificiel dont l'humanité est capable […], une conclusion, le produit succédant à la production. » La culture est l'élément le plus commun à toutes les définitions possibles de la civilisation. »14
À des fins de classification, l’historien Arnold Joseph Toynbee en distingue vingt-six avec leurs montées et déclins15. C’est aussi la thèse de Samuel Huntington pour qui les conflits globaux de l'époque contemporaine en sont les témoins. Plus critique, le livre Effondrement de Jared Diamond analyse comment dans le passé plusieurs civilisations (Île de Pâques, Mayas, Groenland…) ont elles-mêmes provoqué leur propre effondrement par négligence du long terme16. Il place ensuite les causes ainsi dégagée en parallèle avec l'état actuel de la civilisation (par exemple au Montana) pour tenter de trouver des moyens d'action afin d'éviter de futurs effondrements. Le sous-titre de son livre l'annonce sans ambiguïté : Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie.
Le concept d’« empire » se superpose à celui de « civilisation ».
Un outil d’oppression ?
Les études post-coloniales problématisent l'apport des Lumières et des bienfaits de la civilisation des peuples. Le livre de Gayatri Chakravorty Spivak, 17 offre une analyse méticuleuse et détaillée.Sigmund Freud, dans Malaise dans la civilisation, établit un inventaire des frustrations apportées par la société moderne et examine en contrepartie le bilan des compensations qu'elle offre en matière de sécurité, de santé, de culture et d'art. Il y évoque le fait que l'accumulation de ces frustrations puisse conduire parfois à des réactions violentes (voir : Instinct de mort). Ces points seront aussi relevés par Wilhelm Reich, Herbert Marcuse, etc.
Henri Laborit, dans L'Homme et la ville (l'urbanisation accompagne souvent la civilisation) met en relief le fait que celle-ci fonctionne comme une machine servant à juxtaposer sans heurts de grandes inégalités de conditions qui ne seraient pas tolérées dans un autre contexte.
Découpes civilisationnelles
Tableaux synthétiques
Sont présentés ici des civilisations dont l'étendue, le rayonnement, la durée, les vestiges, ont laissé des traces au XXIe siècle.Tableau synoptique
Le tableau suivant, quoique incomplet, propose une autre approche avec une classification par zone géographique et par période des différentes cultures ou civilisations du monde.
Tableau synoptique des civilisations et cultures de l'Humanité
Classification des civilisations contemporaines
Civilisation actuelles selon Samuel Huntington
Article détaillé : Le Choc des civilisations.
Carte des différentes religions dans le monde.
La classification de Samuel Huntington est fortement basée sur la religion.
La classification de Samuel Huntington est fortement basée sur la religion.
Civilisations | Localisation |
---|---|
Occidentale | États-Unis, Europe occidentale, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande |
Latino-américaine | Amérique latine |
Soviétique et ex-soviétique | Europe centrale et orientale |
Afrique coloniale et postcoloniale | Afrique subsaharienne |
Islamique | Afrique du Nord, Moyen-Orient, Asie centrale |
Inde | Sous-continent indien, Tibet, |
Bouddhiste | Birmanie, Thaïlande, Laos, Cambodge, Mongolie |
Extrême-Orient | Chine, Vietnam, Corée |
Autres classements
Civilisations | Localisation |
---|---|
Occidentale | États-Unis, Europe occidentale, Canada, Cône Sud, Australie et Nouvelle-Zélande |
Latino-américaine | Amérique latine (sauf Cône Sud) |
Soviétique et ex-soviétique | Europe centrale et orientale (sauf la Grèce) |
Afrique coloniale et postcoloniale | Afrique subsaharienne |
Arabe | Afrique du Nord, Moyen-Orient |
Inde et Asie du Sud-Est | Sous-continent indien, Tibet, Birmanie, Thaïlande, ex-Indochine, archipels du Sud-Est asiatique |
Extrême-Orient | Chine, Corée, Japon, (Singapour) |
Océanienne | Mélanésie, Micronésie, Polynésie |
- – la Turquie, entre le monde occidental et le monde arabe ;
- – l'Asie centrale, influencée par le monde iranien et arabe et par la Russie, tout en gardant ses racines nomades ;
- – la corne d'Afrique orientale, entre le monde arabe et le monde négro-africain.
Civilisation commune ?
Article détaillé : Civilisation universelle.
La thèse du choc des civilisations
Bernard Lewis
La thèse du « choc des civilisations » est aujourd'hui principalement liée au livre éponyme de Samuel Huntington publié en 1994 et aux débats que ce livre continue de susciter. Cependant l'expression avait été employée antérieurement. Bernard Lewis revendique l'avoir utilisée dès 1957 tandis qu'il en a développé l'idée durant sa carrière23. Chez cet universitaire britannique, l'idée de choc des civilisations est construite sur une analyse des ressentiments entre un Occident de culture judéo-chrétienne et le monde musulman. Selon lui, « ces ressentiments actuels des peuples du Moyen-Orient se comprennent mieux lorsqu’on s’aperçoit qu’ils résultent, non pas d’un conflit entre des États ou des nations, mais du choc entre deux civilisations. Commencé avec le déferlement des Arabes musulmans vers l’ouest et leur conquête de la Syrie, de l’Afrique du Nord et de l’Espagne chrétiennes, le « grand débat », comme l’appelait Gibbon, entre l’islam et la chrétienté s’est poursuivi avec la contre-offensive chrétienne des croisades et son échec, puis avec la poussée des Turcs en Europe, leur farouche combat pour y rester et leur repli. Depuis un siècle et demi, le Moyen-Orient musulman subit la domination de l’Occident – domination politique, économique et culturelle, même dans les pays qui n’ont pas connu un régime colonial […]. Je me suis efforcé de hisser les conflits du Moyen-Orient, souvent tenus pour des querelles entre États, au niveau d’un choc des civilisations23. » Bernard Lewis estime que cette vue continue de refléter la problématique qui est au cœur des débats actuels. Néanmoins il considère qu'en ce qui concerne l'Occident et l'islam, il faudrait envisager un choc entre deux variantes d'une même civilisation, plutôt qu'un choc des civilisations23.Samuel Huntington
Les attentats du 11 septembre 2001 à New York.
Article détaillé : Le Choc des civilisations.
Samuel Huntington
a donné une portée plus générale ou mondiale à l'idée de choc des
civilisations en identifiant principalement huit civilisations à
l'échelle desquelles se jouerait désormais la guerre et la paix dans le
monde. Avec Huntington, l'idée de choc des civilisations déborde ainsi
la problématique du rapport entre christianisme et islam. Il envisage
une certaine pluralité des civilisations qui se réfèrent au
christianisme ou à l'islam ainsi que d'autres civilisations, telles que
celles de l'Inde ou de la Chine, qui ne sont ni chrétiennes, ni
musulmanes. Il considère néanmoins que ces civilisations sont toutes
liées à des présupposés religieux irréductibles les uns aux autres. Les
thèses de Hungtington se présentent comme une analyse pessimiste de la
situation du monde dans la mesure où, si son analyse est exacte, le choc
annoncé est inévitable. Les attentats du 11 septembre 2001
ont relancé les débats sur cette thèse, Huntington ayant lui-même
déclaré et regretté qu'ils donnent une certaine actualité à la thèse
qu'il avait défendue24.Le Rendez-vous des civilisations
Les réactions au livre d'Huntington ont été diverses. Dans Le Rendez-vous des civilisations, Youssef Courbage et Emmanuel Todd estiment que l'affirmation religieuse dans les pays musulmans où la population et les États semblent faire bloc dans l'affirmation et la défense de l'islam ferait paradoxalement partie d'un processus de dé-islamisation. Ils considèrent que l'importance accordée à l'islam dans la vie publique de pays majoritairement musulmans ne signifie pas pour autant que ces sociétés retournent à l'ordre ancien de la tradition. Les crispations et résistances religieuses dans ces pays seraient moins des obstacles à la modernisation que les symptômes de son accélération. En somme, plus se fait sentir le besoin d'affirmer une identité ou des convictions religieuses, éventuellement de les défendre en pratiquant l'intimidation ou la coercition, plus on rend manifeste la faiblesse des convictions et plus on fragilise l'adhésion réelle des populations à celles-ci.Souligner les convergences entre civilisations ne contredit pas totalement l'hypothèse d'un choc ou d'un affrontement entre elles. Dans un cas comme dans l'autre, les civilisations sont supposées se former les unes en rapport aux autres comme des entités équivalentes, ce qui explique aussi bien leurs ressemblances et leur convergences que leurs oppositions et leurs affrontements. Andrea Riccardi estime ainsi que l'on accorde une valeur indue aux blocs ou aux entités que seraient les civilisations. Il considère que la thèse du choc des civilisations laisse entendre que des valeurs universelles puissent être considérées comme le propre de certaines civilisations et estime au contraire que la justice, la paix, le droit ou la légalité, n'ont pas à être rapportées à des entités particulières, celles que l'on appelle à tort ou à raison « les civilisations » pas plus que d'autres. Ce sont ces valeurs qu'il s'agirait de promouvoir sans se laisser arrêter par les sentiments d'étrangeté que les uns et les autres peuvent ressentir les uns envers les autres25.
Culture de l'ennemi
Marc Crépon estime que la thèse du choc des civilisations est une imposture « dangereuse » qui globalise les peurs en permettant à chacun de se désigner des ennemis. Affirmer des civilisations, ce serait supposer des homogénéités ou des « puretés » qui n'existent pas tout en niant ce qui communique et se transforme continuellement. Cela conduirait à enfermer l'humanité dans des sphères concurrentes et opposées au détriment de la construction de la paix fondée sur le droit26.Si des critiques de la thèse du choc des civilisations tendent à la dénoncer comme relevant d'une « culture de l'ennemi », il semble néanmoins possible de lui reconnaître une pertinence analytique dans le sens où elle décrirait une façon de se concevoir des ennemis répandue dans le monde indépendamment de son analyse théorique par Huntington. À ce sujet, Jean-Louis Margolin qui déclare être « pleinement d'accord avec le caractère régressif théoriquement et nocif politiquement du livre d'Huntington », se dit néanmoins « convaincu qu'il y a une région du monde où les thèses d'Huntington forment le fond de la vision du monde de la quasi-unanimité : le monde musulman27. » Huntington, en présentant de façon systématique cette vision du monde, en a aussi facilité la critique. Par suite, plutôt que de faire reposer la responsabilité des conséquences de cette vision du monde de façon unilatérale et exagérée sur Huntington ou sur le monde musulman, une critique de la thèse du choc des civilisations, pour être cohérente avec elle-même, ne peut être que celle d'une vision du monde que des ennemis ont en commun, quelle que soit la « civilisation » à laquelle ils estiment appartenir.
Citations
« Ce que les hommes appellent "civilisation", c'est l'état actuel des mœurs et ce qu'ils appellent "barbarie", ce sont les états antérieurs. »
« Il existe infiniment plus d'hommes qui acceptent la civilisation en hypocrites que d'hommes vraiment et réellement civilisés. »
« Toute civilisation (...) prend, à l'intérieur de chaque peuple, de chaque État, des caractères particuliers. mais les éléments les plus essentiels qui la constituent ne sont la chose ni d'un État, ni d'un peuple ; ils débordent les frontières, soit qu'ils se répandent, à partir des foyers déterminés par une puissance d'expansion qui leur est propre, soit qu'ils résultent des rapports qui s'établissent entre sociétés différentes et soient leur œuvre commune (...) La civilisation est (...) une sorte de milieu moral englobant un certain nombre de nations, chaque culture nationale n'étant qu'un forme particulière du tout. »
« Ce que l'Histoire n'oublie pas. »
« Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. »
« Une civilisation naît au moment où les hommes sans génie croient qu'elle est perdue. »
« L'impérialisme est civilisation pure. Le destin de l'Occident est dans ce phénomène irrévocable. L'homme cultivé a son énergie en dedans, le civilisé en dehors. »
« La civilisation de jouissance se condamne elle-même à la mort lorsqu'elle se désintéresse de l'avenir. »
« Ce sont surtout la faiblesse intellectuelle et morale des chefs et leur ignorance qui mettent en danger notre civilisation. »
« Ce qu'on appelle la civilisation a contribué à rendre une partie de la société plus heureuse et l'autre plus malheureuse que l'une et l'autre ne l'auraient été à l'état de nature »
« C'est la connaissance, la croyance, l'art, la loi, la coutume, et toutes les autres aptitudes ou habitudes acquises par l'homme en tant que membre de la société. »
— E. Tyler, 1871
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